Notre voisin de compartiment, un peu cuit, nous verse whisky sur whisky, nous offre des fruits, des crabes, du poulet, et nous pauvres
voyageurs n’avons rien à donner en échange…
Pour une fois qu’on a réellement soif, pas le moindre marchand ambulant dans les gares. Le dur, qui s’arrête partout comme il se doit, s’est
progressivement rempli. Près de nous, une jolie jeune femme se débat avec une patience d’archange et une fierté impressionnante avec un petit
thaï aussi mignon que diabolique qui fout son coca en l’air, et sa grande fille peu coopérative. A quatre sur quatre sièges, le sommeil va être
léger et la nuit longue ! Cependant, l’alcool aidant, le train s’assoupit lentement. Vers minuit, à la faveur d’un arrêt en pleine campagne toutes
vitres ouvertes, rentre une myriade de papillons. Si dense qu’il devient impossible de respirer sans en avaler quelques uns. Douglas en écrase
(des papillons). Ils disparaissent chassés par le vent dès que le train redémarre. Des gens descendent dans une gare où, à une heure du matin,
des gosses sont debout pour vendre à la criée des trucs qui ne nous semblent pas buvables. Nous pouvons enfin nous allonger un peu.
Jeudi 6 mai, Bangkok, Gérard.
(Hôtel Atlanta, 60 baths, très bien).
{C’est à cette date précise que le journal de Bangkok fait état pour la première fois des crimes perpétrés par le trio infernal de Charles Sobhraj.
Cf. « La trace du Serpent »}.
Réveil avec les yeux à côté des trous, après cette nuit inconfortable et hachée. Pour couronner le tout, pas moyen d’avoir un café. Temps pas très
chaud, mais couvert et humide. Décor très plat, puis soudain, sans crier gare, nous voilà à la gare de Thonburi, à l’est de Bangkok. Premier
contact avec la Thaïlande et cette immense ville : la barque surchargée qui nous fait traverser la Chao phraya pour nous rendre en ville.
Second contact : une radée de premier ordre qui nous laisse dégoulinants ; troisième contact : un bus bondé qui nous trimballe trois quarts
d’heure durant à travers cette capitale au premier abord peu attirante, bruyante, polluée, et nous abandonne à 500 m de l’Atlanta que nous
visons. Là, bonne surprise : calme plat, hôtel accueillant avec grand hall, piscine, belle chambre : le pied. Le conseil était bon. {Cet hôtel, QG
des voyageurs occidentaux, est aussi celui où Sobhraj guettait ses victimes, il y rencontra entre autres la malheureux commerçant turco
américain qu’il assassinera et dont il brûlera le corps}. On s’installe, douche réparatrice, puis rituelle opération fric qui nous permet de
découvrir la grandiose architecture de la banque d’Ayudha. Retour à l’hôtel, où nous prenons le repas ; les plats thaïs sont variés et
appétissants. (Repas 15 baths, bière 10 baths).
Vendredi 7 mai, Bangkok, Gérard.
Départ vers la Banque d’Indochine où l’on s’alimente en pognon frais sans problème, puis en route vers l’American Express où l’on a le plaisir
de trouver un volumineux courrier. La routine des capitales. On y apprend antre autres que notre déménagement, évanoui entre l’Algérie et la
France aux dernières nouvelles, a enfin reparu… Bonne nouvelle, même si ce déménagement ne contient pas grand-chose…